18/09/2014
Macron et les "illettrées" : l'indécent n'est pas ce qu'il a dit – mais qu'il l'ait dit, lui !
Et c'est le problème de toute la classe politique aujourd'hui :
Le ministre de l'Economie déclare qu'un certain nombre de licenciées de la société Gad sont « illettrées ». Il ajoute que ces femmes (il dit : « ces gens-là ») ne trouvent pas à se rembaucher ailleurs parce qu'elles n'ont pas le permis de conduire. C'est une indécence de sa part.
L'indécence ne réside pas dans le constat d'illettrisme : elle réside dans le personnage qui se permet d'énoncer ce constat.
Si quelqu'un n'a pas le droit de parler de la France d'en-bas avec cette froideur d'entomologiste, c'est le haut fonctionnaire ultralibéral Emmanuel Macron. Inspecteur des finances à 27 ans, banquier d'affaires chez Rothschild et millionnaire à 31 ans (pour avoir piloté le rachat par Nestlé d'une filiale de Pfizer), puis secrétaire général adjoint de l'Elysée à 35 ans et ministre de l'Economie à 37 ans (pour aligner la France en catastrophe sur les standards germano-américains), ce M. Macron est étranger à la vie des gens ordinaires. Qui plus est, il est membre du réseau des Young Leaders de la French-American Foundation : aux côtés d'une palanquée de présidents de multinationales et de M. Aquilino Morelle (le gandin qui se faisait cirer les chaussures à l'Elysée), de M. François Hollande (l'ironiste des « sans-dents » et des « pas jojo »), ou de M. Alain « droit-dans-mes-bottes » Juppé.
Une telle carte de visite n'autorisait pas M. Macron à nous parler (en entomologiste) des malheureuses Bretonnes jetées au chômage.*
Or il nous en parle.
Puis un conseiller en image lui explique qu'il n'aurait jamais dû en parler, lui.
Fort de cette découverte, M. Macron se précipite derechef aux micros, cette fois pour se déclarer « impardonnable » et faire des excuses hyperboliques. Il aggrave ainsi son cas : il confirme, aux yeux des Français, qu'il ne se rendait pas compte des réalités sociales.
De quelles réalités, d'ailleurs, M. Macron et les autres clones se rendent-ils compte – hors des réalités virtuelles alimentant les salles de marchés ?
M. Macron ne voit pas qu'il est mal placé pour disséquer les chômeuses.
M. Hollande ne voit pas qu'un chef d'Etat est mal placé pour faire des petites blagues sur les pauvres.
M. Thévenoud ne voit pas qu'il est mal placé pour devenir secrétaire d'Etat.
M. Cahuzac ne voit pas qu'il est mal placé pour devenir ministre (du Budget)...
Ces personnages ne voient rien d'autre que leur tableau de bord de carrière ; leur univers mental ignore l'extérieur, c'est-à-dire le monde réel. Ils le laissent à la discrétion des multinationales.
C'est ce qu'on appelle la post-démocratie ! Si l'on veut un scanner de ses résultats sociaux, on peut lire l'enquête du géographe et sociologue Christophe Guilluy qui vient de paraître chez Flammarion : La France périphérique - comment on a sacrifié les classes populaires. Traité d' « Onfray de la géographie » par Libération, l'enquêteur Guilluy (qui n'a pourtant rien d'un réactionnaire**) est catalogué « gauche réac ». Dans l'idiome libéral, le qualificatif « réac » est une épithète discriminante qui semble vouloir dire : « infréquentable quoique concret ». Que le concret soit infréquentable est une néo-idée, normative et liée aux Nouvelles Valeurs de la République, qui sont une guerre pluridisciplinaire contre les réalités. La présence de M. Macron au gouvernement est l'un des symptômes de cette guerre.
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* par des patrons « bonnets rouges », faut-il le rappeler.
** Il est notamment l'auteur de :
Comment une politique de rénovation peut aboutir à une déstructuration physique, sociale et sociologique d'un espace ? de l'îlot XI à la ZAC des Amandiers : l'exemple de Ménilmontant, Mémoire de maîtrise de géographie urbaine sous la direction de MM. Damais et Grosse, Paris I, 1987
Atlas des fractures françaises, L'Harmattan, 15 septembre 2000
Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Paris, Autrement, 2004, réédité le 9 mars 2006
Fractures françaises, Bourin, 21 octobre 2010, repris en Champs Essais, Flammarion, en octobre 2013
Plaidoyer pour une gauche populaire : La gauche face à ses électeurs, Le Bord de l'eau, 24 novembre 2011
11:11 Publié dans Economie- financegestion, Idées, Politique, Social | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : macron, politique
Commentaires
LE PIRE DES DEUX
> "Haut fonctionnaire ultralibéral" : cela ressemble à un oxymore.
Mais ce n'en est pas un.
Depuis vingt ans l'ENA regrette de ne pas être HEC.
Résultat : des garçons et des filles qui ont l'arrogance énarque et le mentalité salle de marchés.
Le pire des deux univers à la fois.
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Écrit par : alasbar / | 18/09/2014
(A)
> Lettres ou ne pas être… M. Macron est certes étranger à la vie des gens ordinaires. Mais il parle d'autorité, à la fois du bon français et de la petite industrie : n’a-t-il pas épousé son professeur de lettres, qui plus est fille d’un chocolatier amiénois… spécialiste du mac(a)ron ?
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Écrit par : Denis / | 18/09/2014
E.N.A.
> "Depuis vingt ans l'ENA regrette de ne pas être HEC"
alors ça, c'est TRÈS bien vu
@ tous
je cherche une comparaison de l'un d'entre vous sur le libéralisme et la pornographie, publiée sur ce blog, il y a 2 ou 3 mois, qui était un excellent résumé.
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Écrit par : e levavasseur / | 18/09/2014
"RÉAC" EST UNE INSULTE LIBÉRALE
> Quel mensonge pervers! Traiter de "réac" ceux qui refusent la vision néo-libérale du monde, ceux qui refusent de rétrograder au XIXe siècle!
Par ailleurs, se moquer des défavorisés et des pauvres est une lamentable bêtise; le genre d'imbécillité qui peut coûter cher !
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Écrit par : Pierronne la Bretonne / | 18/09/2014
SANS
> Une classe politique au mépris des citoyens... Quelle honte! Ce qui est sûr, c'est que nous les "sens-dents" et les "illettrés" nous sommes gouvernés par des sans-tête et sans-cœur !
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Écrit par : Arnaud Le Bour / | 18/09/2014
@ Arnaud Le Bour
> il y a aussi autre chose qui leur manque
la France toutou des USA, il y a Londres pour ça
sans oublier le ton plaintif de Hollande pendant sa conf' de presse : le petit garçon en conseil de discipline "ben... on a fait des choses hein quand même, c'est pas vrai qu'on est nul"
voix fluette et visage grassouillet,on aurait dit un chapon.
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Écrit par : e levavasseur / | 19/09/2014
> J'ai du mal à vous suivre Patrice. D'après le nouvel obs et rue 89, il y a vraiment un problème d'illettrisme dans cette entreprise (même si 20 pour cent semble un peu sorti du chapeau). Je suis normalienne et agrégée de philo : est-ce que "je" n'aurais pas le droit de dire que 20 pour cent d'une entreprise est constituée d'illettrés, parce qu'avec mes parents enseignants, je n'ai jamais connu les difficultés scolaires "des vrais gens"???
Je suis d'accord sur le côté libéral, banquier, etc. Mais pour le coup, je trouve qu'on fait à Macron un mauvais procès. Il y a un problème d'illettrisme en France (par illettrisme j'entends le fait de pouvoir à peine déchiffrer sans accéder au sens d'un texte même court : situation TRES fréquente), et cela va s'aggraver vu ce que je vois dans la maternelle de mes enfants, dans laquelle on annonce triomphalement un ordinateur dans chaque salle pour faire des "jeux éducatifs"!!!
Maud
[ PP à Maud - Me serais-je mal expliqué ? Je croyais avoir écrit que le problème n'était pas ce que Macron avait dit, mais que ce soit lui qui l'ai dit ? ]
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Écrit par : Maud / | 19/09/2014
PAS D'ACCORD
> Mais justement cher Patrice, c'est ce point qui m'échappe complètement. Une vérité est une vérité, qui que ce soit qui la dise. De plus le contexte dans lequel il le dit indique clairement qu'il ne s'agit pas d'une marque de mépris. Le "ces gens-là" est condescendant, je vous l'accorde, mais pas le constat en lui-même (et c'est sur l'illettrisme que la polémique a éclaté). On ne peut pas mettre sur le même plan le fait qu'un homme qui ne paie pas ses impôts ne soit pas "lui" légitime pour être ministre du budget (il s'agit du problème de l'accord de sa parole avec ses actes et de sa fonction avec sa conduite) avec le fait qu'un homme énarque et ancien banquier puisse "lui" dire que certains "gens de peu" sont illettrés (sauf à considérer qu'illettré soit une insulte, ce qu'il n'est pas, bien qu'il constitue une honte du point de vue de ceux qui le sont, ou à considérer que le fait d'être énarque soit mystérieusement lié au fait que ces personnes soient illettrées). Ou alors il ne faut plus que les riches parlent des pauvres, que les hétéros parlent des homos, que les hommes parlent des femmes, etc. Bref, j'ose à peine le dire, c'est une forme de relativisme... À côté de ça, on ne cesse de lire dans FC, la Vie ou la Croix monsieur Danone n°2 récemment passé n°1 pontifier sur saint François.
(NB: Je ne parle que du constat d'illettrisme, qui a entraîné les excuses de Macron ; le "ces gens-là" en revanche était plus humiliant, mais personne ne l'a noté, sauf vous cher Patrice).
Maud
[ PP à Maud - Bon, nous ne ressentons pas les choses de la même façon ! Ce n'est pas grave. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Maud / | 19/09/2014
@ E.levavasseur,
> On est d'accord!
La conférence de presse est une simple opération de com' sans fond. Comme l'a dit Michel Onfray, il n'y avait pas de quoi pour prendre des notes, hier soir sur France 2.
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Écrit par : Arnaud Le Bour / | 19/09/2014
UN SEUL ASPECT
> Je ne vous comprends pas. Vous vous trompez en question. À mon sens le point est de savoir s'il y a des vraies illettrées chez Gad (j'ai d'ailleurs du mal à le croire). S'il y en a vraiment et autant que Macron le dit, il y a clairement un problème local pour que ces ouvrières puissent retrouver un emploi (ou passer le permis). Et il y a clairement un problème national: alors que l'Education nationale dispose d'un budget >50 Mds €, comment comprendre qu'il y ait des ouvrières illettrées en nombre ? Encore une fois si l'info est exacte.
La question essentielle est de savoir qu'elle est la vérité - et le devoir d'un ministre est tout de même de fonder sa politique sur l'analyse des situations exactes !
Et le devoir d'un chrétien ( et de toute personne attachée à l'éthique) c'est bien d'encourager les politiques à préférer la vérité au mensonge .
Si M de Plunkett était allé chez Gad il aurait dit " tout va bien, tout va très bien, nul ne comprends de quoi ces charmantes dames se plaignent". Bien sur que non je suis certain que vous auriez courageusement dit la vérité au risque de vous faire traiter d'aristo condescendant.
Roger
[ PP à Roger - Je vous avais répondu mais vous n'en tenez pas compte. Vous me faites dire n'importe quoi, vous vous enfermez dans un seul aspect de la question, et vous refusez de comprendre l'aspect incarné par M. Macron... La discussion est donc, hélas, inutile. ]
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Écrit par : Roger / | 21/09/2014
LUI
> Cela n'a qu'un lointain rapport, mais que pensez-vous du fait que se soit lui justement qui le dise?
http://tempsreel.nouvelobs.com/social/20140924.OBS0077/le-medef-veut-nous-faire-travailler-comme-des-chinois.html
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Écrit par : ND / | 24/09/2014
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